En tant que discipline scientifique, l’archéologie étudie les populations humaines et tente de reconstituer d’anciens modes de vie par l’analyse des vestiges matériels. Pendant longtemps, l’acquisition des connaissances archéologiques s’est faite dans une perspective coloniale et ce, au détriment des populations autochtones dont l’héritage constitue pourtant une grande partie du patrimoine archéologique au Canada [1]1thèse de doctorat en anthropologie, Université McGill
Awakening Internalist Archaeology in the Aboriginal World
2002
. Avec l’émergence d’une communauté professionnelle vers la fin du XIXe siècle au Canada, les fondements de l’archéologie sont alors étroitement liés à un sentiment de responsabilité morale et éthique vis-à-vis des ressources archéologiques.

Or, les archéologues, généralement issus de tradition occidentale, interprètent le passé d’une façon plutôt linéaire. De plus, leurs interventions sur le terrain perturbent généralement des lieux où résident les mémoires spirituelle, matérielle et sacrée des ancêtres des populations autochtones. L’intégration des savoirs autochtones et la participation active des communautés autochtones à la démarche scientifique, et plus particulièrement à l’archéologie, sont des pratiques plutôt récentes [2]2thèse de doctorat en archéologie, Université de Calgary
Quliaq tohongniaq tuunga (making histories): Towards a critical Inuvialuit archaeology in the Canadian Western Arctic
2007
 [3]3Canadian Journal of Archaeology / Journal canadien d’archéologie
What Makes Us Squirm: A Critical Assessment of Community-Oriented Archaeology
2016
.

Les principes de l’archéologie collaborative comprennent notamment un certain contrôle de la recherche par les communautés autochtones, des orientations qui répondent à des critères définis et élaborés par les communautés et des objectifs de recherches qui intègrent le savoir et la philosophie des Autochtones [4]4in H.C. Wolfart (dir.), Papers of the 38th Algonquian Conference, Université du Manitoba, Winnipeg
The Land as an Aspect of Cree History: Exploring Whapmagoostui Place Names
2007
 [5]5thèse de doctorat en archéologie, Simon Fraser University
Indigenous Heritage Stewardship and the Transformation of Archaeological Practice: Two Case Studies from the Mid-Fraser Region of British Columbia
2013
 [6]6Études/Inuit/Studies
Ethical foundations and principles for collaborative research with Inuit and their governments
2011
 [7]7Études/Inuit/Studies
Creating space for negotiating the nature and outcomes of collaborative research projects with Aboriginal communities
2011
.

 

La réappropriation du patrimoine culturel

L’adoption du Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA) aux États-Unis en 1990 marque un moment charnière dans les relations entre les archéologues et les membres des communautés autochtones de l’Amérique du Nord. Cette loi – qui autorise les analyses des découvertes archéologiques, mais dans un délai très court et seulement s’il peut être démontré que ces analyses peuvent apporter une contribution majeure aux connaissances –, exige que les restes humains, objets funéraires, objets sacrés et objets de patrimoine autochtone significatifs mis au jour dans le cadre d’interventions archéologiques, devront être restitués aux populations autochtones. Cette législation s’inscrit dans une période caractérisée par une plus grande volonté d’affirmation et de revendications des populations autochtones. C’est également durant les années 1990 que s’opère une transformation dans les rapports entre les archéologues et les communautés autochtones au Canada, avec un engagement plus marqué des populations autochtones dans la gestion de leur propre patrimoine culturel.

En ce sens, l’archéologie n’est plus perçue comme étant un simple instrument dans la mise en valeur du patrimoine culturel autochtone, mais plutôt comme un « outil » pouvant servir à la (ré)appropriation de ce patrimoine par les communautés concernées [8]8Journal of the Canadian Historical Association
What We've Said Can be Proven in the Ground”: Stó:lō Sovereignty and Historical Narratives at Xá:ytem, 1990-2006
2013
 [9]9mémoire de maîtrise en anthropologie, Université de Montréal
À la convergence des savoirs : la transmission des connaissances entre les Atikamekw et des archéologues
2010
.

L’Association canadienne d’archéologie a adopté, en 1996, un Énoncé de principes d’éthique touchant les Autochtones, définissant ainsi des standards en matière de consultation des communautés concernées, de participation des Autochtones, de reconnaissance des lieux symboliques et sacrés et enfin, de communication et d’interprétation. Cette déclaration stipule plus précisément que les archéologues devraient respecter l’importance culturelle de l’histoire orale et des connaissances traditionnelles dans l’interprétation et la mise en valeur des richesses archéologiques des Autochtones et communiquer les résultats des recherches archéologiques aux communautés autochtones concernées.

Au Québec, l’Association des archéologues du Québec a adopté une charte (modifiée et adoptée en 2012) ainsi qu’un code d’éthique et de normes professionnelles pour ses membres, sans aucune précision quant à la collaboration des communautés autochtones dans la démarche archéologique. Alors que l’archéologie collaborative est plus répandue chez nos homologues des autres provinces et territoires, cette pratique demeure embryonnaire au Québec – situation qui se remarque notamment dans la maigre production de publications francophones sur le sujet. Des initiatives ont toutefois vu le jour au fil des ans, prenant souvent la forme de prise en charge directe des travaux de recherches archéologiques par les communautés autochtones, en collaboration avec des archéologues non autochtones.

Groupe de participants à l’Aventure archéologique à Blanc-Sablon, organisée par Archéo-Mamu Côte-Nord, lieu historique national du Canada de Blanc-Sablon, Québec. Photo : Archéo-Mamu.

Les applications d’une archéologie collaborative

Il est évident qu’une plus grande collaboration entre les archéologues et les communautés autochtones est souhaitée et elle doit même être fortement encouragée, mais cette collaboration participative doit être bien encadrée. Les objectifs d’un projet de recherche archéologique collaborative doivent être clairement définis par les différents intervenants. De plus, les résultats des interventions archéologiques et l’interprétation des données peuvent aller à l’encontre de certaines attentes et peuvent même porter préjudice aux communautés autochtones concernées. Il y a donc un travail de sensibilisation à faire à cet égard, non seulement auprès du grand public, des médias et des instances gouvernementales concernées, mais aussi auprès des communautés archéologique et muséologique [3]3Canadian Journal of Archaeology / Journal canadien d’archéologie
What Makes Us Squirm: A Critical Assessment of Community-Oriented Archaeology
2016
 [10]10thèse de doctorat en archéologie, Université Laval
L’archéomuséologie : un modèle conceptuel interdisciplinaire
2005
 [11]11Cap-aux-Diamants
Une discipline pour des passionnés : l’archéologie québécoise d’hier à aujourd’hui
1999
.

Au Québec, l’essor de l’archéologie est étroitement lié à la mise sur pied des grands chantiers hydroélectriques de la Baie-James dans les années 1970, notamment dans le cadre d’études d’impact environnemental [5]5thèse de doctorat en archéologie, Simon Fraser University
Indigenous Heritage Stewardship and the Transformation of Archaeological Practice: Two Case Studies from the Mid-Fraser Region of British Columbia
2013
. Même si l’intégration des membres de certaines communautés nordiques, notamment les Cris et les Inuits, au sein d’équipes d’archéologues a débuté durant cette période, cette collaboration était, à court terme, plutôt bénéfique pour ces derniers.

Affiche de l’exposition «Projet de la Baie James. Une rivière qui se noie» présentée au Musée des beaux-arts de Montréal en 1982. Crédit photo: Bibliothèque et Archives Canada, no. MIKAN 3934547.

Examinons brièvement quelques exemples d’une archéologie collaborative au Québec, au Nunavik et en Colombie-Britannique qui, au fil de quelques années, ont permis d’élaborer un véritable partenariat.

> L’approche méthodologique favorisée par le Gouvernement de la nation crie (anciennement connue sous le nom d’Administration régionale crie) est un excellent exemple de prise en charge du patrimoine archéologique et d’intégration du savoir traditionnel où l’élément fondamental a été le recours aux savoirs des aînés comme point de départ des recherches archéologiques, ainsi que leur participation dans l’identification des sites d’intérêt archéologique [4]4in H.C. Wolfart (dir.), Papers of the 38th Algonquian Conference, Université du Manitoba, Winnipeg
The Land as an Aspect of Cree History: Exploring Whapmagoostui Place Names
2007
 [12]12Continuité
Patrimoine cri : savoirs du Nord
2002
.

> Le programme d’archéologie communautaire avec les Inuits du Nunavik de l’Institut culturel Avataq. Le département d’archéologie de l’Institut culturel Avataq est mandaté par la Conférence des aînés inuits du Nunavik pour identifier, étudier, protéger et préserver le patrimoine archéologique du Nunavik. Les activités de l’institut permettent à de jeunes Inuits de participer activement aux recherches archéologiques menées au Nunavik. Depuis sa fondation en 1985, de nombreux projets de recherche archéologiques ont été menés avec les Inuits – dont Sivunitsatinnut ilinniapunga, « Pour notre futur, je vais à l’école » – qui organisent des activités connexes aux écoles de fouilles.

> Le projet archéologique Sq’éwlets (1992-1999) a été le résultat d’un partenariat entre les membres de la communauté Sq’éwlets, la Nation Stó:lō et des archéologues de l’Université de la Colombie-Britannique et de l’Université Simon Fraser. En plus de permettre l’acquisition de connaissances sur l’histoire des Sq’éwlets, ce projet a permis de développer différentes ressources comme des étiquette de savoir traditionnel ainsi que des ressources linguistiques et pédagogiques.

> Le projet Intellectual Property Issues in Cultural Heritage (IPinCH) élaboré par George P. Nicholas (Simon Fraser University) en collaboration avec Julie Hollowell (Indiana University) et Kelly Bannister (University of Victoria) valorise un modèle de recherche concertée qui favorise l’autonomisation et la protection des communautés autochtones tout en contribuant à l’enrichissement de la recherche universitaire. En 2014, une résolution intitulée Declaration on the Safeguarding of Indigenous Ancestral Burial Grounds as Sacred Sites and Cultural Landscapes fut proposée dans le cadre de ce projet par près d’une trentaine de professionnels (anthropologues, archéologues, avocats, représentants de communautés autochtones). Durant l’année suivante, cette déclaration fut endossée par plus d’une centaine de professionnels, de chercheurs, d’organismes et d’associations de différents pays d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Afrique.