Pour les premiers explorateurs européens qui viennent, visiter d’abord et s’installer ensuite, en Nouvelle-France, la tâche consiste en premier lieu à tracer les contours géographiques de ces terres nouvelles et à en identifier les ressources naturelles. Ce qui pour eux était un Nouveau Monde était bien sûr occupé depuis des millénaires par les Autochtones, qui avaient accumulé pour leurs besoins propres quantité de connaissances sur les plantes et les animaux. Songeons seulement à l’usage thérapeutique de l’annedda, bien connu des Iroquois, qui permit à certains membres de l’équipage de Jacques Cartier de guérir du scorbut lors du voyage de l’hiver 1536 [1]1Revue d'histoire de l'Amérique française
L’annedda et l’arbre de vie
1954 [2]2Anthropologie et Sociétés
La pharmacopée traditionnelle des Iroquois : une étude ethnohistorique
1978.
Au cours des XVII et XVIIIe siècles, l’approche des Européens est plus systématique et organisée. Ainsi les Jésuites notent-ils leurs observations astronomiques et botaniques et les font-ils circuler dans leur vaste réseau mondial. Ce sont eux qui identifient le ginseng appelé à devenir, dans la première moitié du XVIIIe siècle, une véritable industrie d’exportation vers la Chine [3]3Cap-aux-Diamants
Aux XVIIe et XVIIIe siècles : l’exportation de plantes médicinales canadiennes en Europe.
1996. Pensons aussi au jésuite Joseph-François Lafitau qui publie en 1724, un ouvrage fondateur sur les Mœurs des sauvages amériquains comparées aux mœurs des premiers temps [4]4Études littéraires
Lafitau et la pensée ethnologique de son temps
1977.
L’État français sera également actif. Il nommera des gouverneurs, mais enverra aussi au pays des médecins du Roi intéressés par les sciences naturelles qui rapporteront régulièrement leurs découvertes. C’est ainsi que Michel Sarrazin (1659-1734), premier membre correspondant de l’Académie royale des sciences de Paris, publiera ses observations sur la faune et la flore dans les Mémoires de cette Académie. Son successeur, Jean-François Gaultier (1708-1756) fera de même au milieu du XVIIIe siècle pour la géologie et les plantes qui peuvent, tel le chanvre, avoir un intérêt économique. Il publie même un traité sur le sirop d’érable [5]5Les Cahiers des Dix
Les origines du sucre d’érable
1990. On ne peut cependant pas dire qu’une tradition de recherche se mette alors en place, et ce malgré la création, en 1635, du Collège des Jésuites de Québec.
Il faut toutefois attendre le début du XXe siècle pour voir un véritable essor de la recherche scientifique, en lien étroit avec la croissance du réseau universitaire canadien.
La Conquête de 1760 modifie radicalement les échanges : le Canada s’oriente dorénavant vers l’Angleterre. Le XIXe siècle canadien voit naître des institutions qui posent les bases d’une communauté scientifique de plus en plus active et mieux fournie dans la seconde moitié du siècle [6]6Histoire sociale / Social History
The Rise and Decline of Science at Quebec, 1824-1844
1997. La Literary and Historical Society of Quebec (1824) et la Natural History Society of Montreal (1827) constituent des lieux de sociabilité érudite pour la bourgeoisie, surtout canadienne anglaise, qui s’y réunit pour discuter d’histoire naturelle, de littérature ou d’histoire [7]7Revue d’histoire de l’Amérique française
La société littéraire et historique de Québec (The Literary and Historical Society of Quebec), 1824-189
1981. Les francophones fonderont des Instituts canadiens à Québec et Montréal au cours des années 1840, plus axés sur l’histoire et la littérature [8]8Cap-aux-Diamants
La fondation de l’Institut canadien
1986.
L’État canadien qui veut stimuler le développement économique et industriel crée en 1842 une première institution importante, la Commission géologique du Canada, suivie en 1886 par les fermes expérimentales fédérales vouées au développement de savoirs pratiques [9]9Geoscience Canada
William Logan’s History of the Geological Survey of Canada
1999. La naissance de revues comme le Canadian Naturalist and Geologist (1857), le Canadian Entomologist (1868) et, la même année, du Naturaliste canadien, première revue scientifique de langue française au Canada, indique bien que la science est davantage pratiquée sur une base régulière. À cette époque, les revues sont souvent la création de sociétés savantes, mais aussi d’individus passionnés comme l’abbé Léon Provancher (1820-1892) [10]10HSTC Bulletin
Science et société coloniale : les naturalistes du Canada français et leurs correspondants scientifiques (1860-1900)
1981. Symbole d’autonomie scientifique nationale, le gouverneur général du Canada fonde en 1882 la Société royale du Canada [11]11HSTC Bulletin
The Dawning of a National Scientific Community in Canada, 1878-1896
1984.
Il faut toutefois attendre le début du XXe siècle pour voir un véritable essor de la recherche scientifique, en lien étroit avec la croissance du réseau universitaire canadien. La création du Conseil national de recherches du Canada (CNR) en 1916 offre enfin des ressources aux professeurs et aux étudiants de deuxième et troisième cycles dans toutes les branches des sciences [12]12Scientia Canadensis
The National Research Council of Canada: Its Historiography, its Chronology, its Bibliography
1991. À la fin des années 1920, le CNR se dotera à Ottawa de ses propres laboratoires de recherche. Au Québec francophone, les années 1920 sont marquées par le développement de l’Université de Montréal – fondée en 1920 – ; par l’essor des premières sociétés savantes, qui constituent un véritable mouvement scientifique et qu’incarne l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS) ; et par les nombreuses interventions du frère Marie-Victorin (1885-1944) [13]13Recherches sociographiques
Le frère Marie-Victorin et les «petites sciences»
1979. Née en 1923, institution unique au Canada, l’ACFAS organise depuis 1933 un congrès annuel sur le modèle de la British Association for the Advancement of Science fondée en 1831. Cette institutionnalisation des différentes sciences stimule la recherche et amène le CNR à créer en 1929 une nouvelle revue, le Canadian Journal of Research. Les biologistes de l’Université de Montréal créeront pour leur part en 1943 la Revue canadienne de biologie [14]14Sociologie et sociétés
Nationalisme et champ scientifique québécois
1975.
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’au milieu des années 1970, la croissance économique générale permet la multiplication des recherches dans tous les domaines. La communauté scientifique canadienne, arrivée alors à sa maturité, constitue un élément significatif du système scientifique international. Au début du XXIe siècle, plus de la moitié de toutes les publications scientifiques canadiennes sont en effet écrites en collaboration internationale [15]15Globe
L’évolution des collaborations scientifiques entre le Québec, le Canada et l’Union européenne (1980-2009)
2011.